Portrait de Pierre Unal-Brunet

Pierre Unal-Brunet sculpte. Attisant l’alliance entre le naturel et l’artifice, il agglomère des images, des récits, des signes, des rumeurs qu’il cherche à assembler, physiquement. Les sutures qu’il opère en rapprochant ces chairs ne visent aucun réalisme. Elles affirment d’emblée le conditionnel d’une cryptozoologie, d’une faune qui pourrait exister. Alors ses créatures prennent la pose, pour mieux nous empoisonner. Une toxicité positive vient ainsi imbiber tout ce qu’il façonne. L’artiste développe une production vénéneuse, à l’impact organique qu’il nous faut digérer. Idéalement, ses humeurs nous transforment. Et stimulent l’attention.

Insomnie

Pierre Unal-Brunet veille. Avec quelques complices, sur une île familière pourtant réputée pour son inhospitalité, il active une cérémonie au socle autobiographique perceptible. Sa liturgie profane grime la noirceur en fertilité, forgeant un deuil à travers une impulsion collective vivante. Il s’agit bien de bousculer les valeurs établies en réhabilitant par la vigueur un secteur dit hostile, pauvre, marécageux, triste. Il faut d’ailleurs se mouiller pour l’atteindre. On y participe seul et ensemble à une procession dispersée. Là, des œuvres nous guidaient, à la limite du praticable. Pour ne pas tomber, pour ne pas s’enliser, pour ne pas sombrer, il fallait avancer. Tout nous empêchait de nous assoupir.

Affût

Pierre Unal-Brunet maquille. Il est d’ailleurs éclairant de percevoir combien la cosmétique et les tréfonds marins sont imbriqués, l’industrie de la beauté exploitant sécrétions et déjections de vertébrés aquatiques. Les cristaux de guanine et l’ambre font partie de ces ressources animales composant les fards les plus sophistiqués. Et l’artiste agit en thanatopracteur. Retardant la décomposition par des techniques d’embaumement et diverses mesures esthétiques, il vise à maintenir ses charognes dans un état de contemplation. Le travail de surface, en stabilisant au préalable la putréfaction interne, ravive ce qui se voit pour mieux regarder la mort sans cligner.

Égide

Pierre Unal-Brunet cuirasse. Ses actions de revêtement aguerrissent la peau des choses. On observe dans sa pratique une mutation de la sculpture vers la peinture. Ce renversement vers une dimension plate s’exprime par une série de châssis de bois flotté baptisée d’après les pleuronectiformes, ces poissons qui nagent de travers suite à ce que les scientifiques appellent une anomalie. Une migration oculaire intervient alors qu’un cartilage se développe de manière extrême derrière un des yeux pour le rabattre sur le même côté que l’autre, chamboulant au passage la mobilité de l’alevin. Sa pigmentation aussi évolue, face à la lumière qu’elle affronte maintenant.

Agrypnie

Pierre Unal-Brunet enlumine. Ses supports se trouvent vivifiés par des jus qui réagissent et imprègnent, griffés pour obtenir des lignes plus claires, poncés dans leur épaisseur, travaillés dans leurs interstices. Les plaies sont estompées ou réveillées. Ça va d’un vert jaunasse à un pourpre profond, en frôlant les recoins d’une telle palette. Les mélanges se font directement sur la matière à partir de couleurs sorties du tube. Tout est unifié par des acryliques irisées transparentes. Il faut chatoyer. Les bestioles affichent de fascinantes stratégies de façade. À l’inverse du camouflage, ici on parade pour hameçonner avec acuité.

Égard

Pierre Unal-Brunet pêche. Cette activité est d’ailleurs la base de son rapport à l’art. Durant ce temps de vacance, il pense au leurre qui évolue sous l’eau. Cette feinte, l’artiste la choisit pour son épiderme, sa forme et sa potentielle attitude en fonction du territoire à incorporer. Ainsi le piège est son avatar, à la fois appât et apparat, un costume qui lui envoie des informations sur un environnement qu’il ne voit pas. À travers lui, il sonde. Ses sculptures jouent ce rôle. Elles sont des protagonistes envoyées pour explorer des zones sensibles qu’elles nous permettent de tâter. Entre étang et mer, ces appendices nous assurent un éveil perpétuel.

Qui-vive

Pierre Unal-Brunet spécule. Il tamise les abysses, inspecte les entrailles. En profondeur, selon une opération quasi-méditative qui par objet interposé renseigne sur les reliefs, les espèces et l’histoire de l’abîme, il observe, épie et cherche à pénétrer par l’esprit. Cela traduit une expérience du regard. L’extrêmophilie consiste à se sentir bien dans des conditions auxquelles les autres ne survivraient pas. L’artiste se confronte au pire pour être à l’aise partout ailleurs. Et après avoir orchestré sa propre initiation, aux aguets du bouchon qui frissonne, demeure la conviction de ne jamais fermer l’œil.

Publié dans le catalogue de l’exposition « Maldormir » présentée les 21 et 22 mai 2022 à Marseillan, autoédition avec le soutien de Mécènes du Sud Montpellier-Sète-Béziers